La dictature invisible du numérique
L’homme nu ou la dictature invisible du numérique, est le titre intégral du livre que j’ai lu cet été. Les auteurs Marc Dugain et Christophe Labbé nous dressent un état inquiétant du phénomène de victimisation, liée à la cybersurveillance planétaire et aux manipulations des algorithmes, dont nous sommes victimes à l’insu de notre plein gré.
Certes, il faut prendre conscience de la perversité du big data de Big brother is watching you, mais comme pour toutes choses, il faut savoir séparer le bon grain de l’ivraie.
Notons que les auteurs nous précisent (p. 13) : Les big data déploient suffisamment d’énergie à promouvoir les bénéfices de la révolution numérique pour qu’il soit inutile ici de les rappeler. Nous ne nous attarderons donc pas sur les effets positifs de la révolution numérique, mais plutôt sur la menace sournoise qu’elle fait désormais peser sur notre liberté individuelle, la vie privée, notre droit à l’intimité, et plus généralement sur le danger qu’elle représente pour la démocratie.
NB : Concernant les informations citées dans ce livre, gardons en mémoire qu’il a été publié en mai 2016.
Je vous propose une synthèse de ce livre sur La dictature invisible du numérique, par chapitres, avec des extraits et « mes points de vue » (MPV).
- Introduction
- Terrorisme et big data
- Le monde selon les big data
- La prophétie de Platon
- Le pacte
- Orwell, si tu savais
- Le réveil des objets (cf. IoT)
Chapitres du présent article à venir
- Le dîner des rois
- Google m’a tuer
- La conjuration des 0 et des 1
- L’avenir est une équation
- Les maîtres du temps
- Le chômage total
- Je consomme, je mate, je joue
- La sagesse 2.0
- Le retour d’Ulysse
- Le pire est désormais certain
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Introduction
L’objectif des big data et ni plus ni moins de débarrasser le monde de son imprévisibilité, d’en finir avec la force du hasard. Jusqu’ici, les raisonnements statistiques et probabilistes sur des échantillons de population plus ou moins importants laissaient une place à l’interprétation. Avec la révolution des big data, le raisonnement aléatoire disparaît progressivement au profit d’une vérité numérique fabriqué à partir des données personnelles, que 95 % de la population celle qui est connecté, accepte de céder (p 8)
Depuis le début du XXe siècle, un écart croissant s’est creusé entre l’omniprésence de la technologie dans notre quotidien et le faible niveau de compréhension que nous en avons. Le grand public est tenu à distance des enjeux qui se dessine, mal informé par une industrie qui privilégie l’opacité à l’abri de laquelle prospère ses intérêts économiques. Les avantages à cours terme des données massives au culte cette transformation majeur dans l’histoire de l’humanité quel asservissement volontaire un système d’information depuis le début du XXe siècle, un écart croissance est creusé entre l’omniprésence de la technologie dans notre quotidien et le faible niveau de compréhension que nous en avons. Le grand public est tenu à distance des enjeux qui se dessine, mal informé par une industrie qui privilégie l’opacité à l’abri de laquelle prospère ses intérêts économiques. Les avantages à court terme des données massives au culte cette transformation majeur dans l’histoire de l’humanité quel asservissement volontaire un système d’information (p 12).
C’est de la réussite machiavélique d’une industrie qui a pris définitivement le contrôle de la terre, sans contrainte ni violence apparente, que nous allons parler (p. 13)
MPV – On prend de plus en plus conscience des manipulations d’acteurs majeurs comme Facebook (cf. Scandale Facebook-Cambridge Analytica). Les gouvernements ne tarderont pas à s’y attaquer, même s’il leur faut un peu de temps pour prendre conscience du phénomène des manipulations perverses d’acteurs, à commencer par Facebook, et adapter la législation type RGPD
Terrorisme et big data
Ce n’est pas tant par le nombre de morts qu’ils provoquent que les terroristes mettent en danger nos sociétés, mais par l’effet de souffle médiatique des attentats que démultiplie Internet. Sans le vouloir, les big data propagent ainsi, au cœur des sociétés occidentales, cette onde de choc au pouvoir fracturant (p. 18)
Sans les réseaux sociaux, Daesh n’aurait pas recruter, comme il l’a fait, des milliers de combattants aux quatre coins du monde, en utilisant le pouvoir hypnotique d’Internet pour aimanter en Occident des jeunes en perte de repères, et pas seulement sur le « Darknet » dont on reparlera plus tard. En France, regarder les sites djihadistes mettant en scène des exécutions est aujourd’hui un délit, mais pas pour Google et Facebook qui, malgré leurs déclarations officielles, rechignent à jouer les censeurs (p. 19)
MPV – les Facebook, LinkedIn, Twitter et YouTube (pour ne citer que les majors) sont-ils hébergeurs ou éditeurs ? Dans ce pays du numérique planétaire sans foi ni loi, il faut clairement définir des règles. Et comme toute nouvelle technologie, la réglementation est inéluctablement créé quelques temps après la naissance d’une nouvelle technologie (le code de la route a été créé après la création de la voiture, et non l’inverse. Et il a évolué au fil du temps. Il en sera de même pour la législation des réseaux sociaux). Sachant qu’Internet, et plus particulièrement les réseaux sociaux, sont un monde sans frontières, l’évolution de la législation ne peut être que mondiale !
Bon nombre de djihadistes sont passés par la case délinquance. Donc, au-delà du rôle et des responsabilités des grands industriels du numérique, l’enjeu majeur de la société humaine sont l’éducation et la formation… travail de long terme : minimum une génération ! Ce n’est pas sans raison que certains politiques, à la présidentielle.fr 2017, en ont fait un axe majeur comme Alain Juppé : Enseignement la mère des réformes.
L’éducation est l’arme la plus puissante qu’on puisse utiliser pour changer le monde (Nelson Mandela)
Le monde selon les big data
Si 70 % des données générées le sont directement par les individus connectés, ce sont des entreprises privées qui les exploitent. C’est ainsi qu’Apple, Microsoft, Google ou Facebook détiennent aujourd’hui 80 % des informations personnelles numériques de l’humanité. Ce gisement constitue le nouvel or noir (p. 23).
Aujourd’hui, ce sont les États-Unis qui contrôlent les big data. Les Bill Gates et autres Mark Zuckerberg, patron de Facebook, sont les nouveaux Rockfeller. Ceux auxquels l’État américain a déléguer l’exploitation, le stockage et le raffinage des gisements numériques. Jamais, dans l’histoire de l’humanité, un aussi petit nombre d’individus aura concentrer autant de pouvoirs et de richesses. Le monde digital aura donné naissance à une hyper oligarchie. Et, contrairement au pétrole, la donnée est une matière première inépuisable, elle jaillit en permanence des pipelines numériques. 90 % de la masse des data disponibles a été créée ces dernières années (p. 24).
À elles seules, Apple et Alphabet sont assises sur une montagne de cash de 289 milliards de dollars ! (p. 25).
Le monde des big data avec de gigantesques flux de recettes incontrôlables est celui de la super-mondialisation qui anéantit l’idée de frontière et menace le modèle européen, à la traîne dans la récolte et le traitement des données (p. 32).
MPV – Premier remède : il faut casser cette situation monopolistique. Deuxième remède : ce n’est plus un pays comme la France qui peut combattre ou rivaliser avec les majeurs de l’Internet. C’est au niveau européen qu’il faut s’organiser, notamment pour la R&D de l’intelligence artificielle, et on ne manque pas de cerveaux : il faut « simplement » se donner les moyens de garder et d’attirer les meilleurs !
La prophétie de Platon
Le reflet de la réalité est devenu, dans nos têtes, plus important que l’arrivée de la réalité elle-même. L’un des symptômes du mal qui nous frappe est la frénésie pour la photo souvenir. Une boulimie visuel encouragée par les smartphones qui permettent de photographier et de stocker quasiment à l’infini ces images et de les partager instantanément aux quatre coins de la planète. 80 millions de clichés sont échangés chaque jour sur Instagram, l’application de partage de photos et vidéos de Facebook, par ses 400 millions d’utilisateurs. Ce qui compte, ce n’est pas l’instant mais ça capture numérique. Le présent ne prend sens que sous forme d’un souvenir pixelisé (p. 34).
Partout sur la planète, une épidémie frappe les clients (des restaurants) qui, lorsque le plat arrive, sortent leurs smartphones pour l’immortaliser et le poster sur les réseaux sociaux. Un partage illusoire qui fait de l’assiette un simple trompe-l’œil, puisque l’essentiel, l’émotion ressentie par les papilles, n’est pas numérisable, sans parler de la convivialité d’être ensemble à table. Ce qui prime est donc l’hologramme de la vie. L’image du réel prend le pas sur le vécu. La mode des selfies renvoie de manière saisissante aux ombres projetées sur les parois de la caverne de Platon (…/…) Captivés par la perfection du virtuel, nous en arrivons à presque détester le réel, sa complexité, ses défauts, son imprévisibilité faite de hasards déroutants (p. 35).
En réalité, comme le dit l’adage : » Si vous ne payez pas pour quelque chose, vous n’êtes pas le client, vous êtes le produit « . C’est le prix à payer. En entrant sur le réseau, nous scellons, sans le savoir, une sorte de pacte avec le diable : notre identité numérique contre des services en libre accès toujours plus personnalisé. La valeur marchande de l’individu 2.0 (…/…) n’est plus sa force de travail mais son identité numérique qui sera revendue plusieurs fois, comment on le faisait sur le marché aux esclaves (…/…) Autrement dit, les internautes producteurs bénévoles de données sont exploités mais heureux de l’être… En nous connectant, nous nous croyons autonomes, libres, alors que nous nous soumettons à la machine (à la Matrice, sic) (p. 39).
Le conseil d’État s’est récemment penché sur la question, dans un rapport consacré au numérique et aux droits fondamentaux. » Aujourd’hui déjà, un internaute ne voit pas les mêmes résultats de recherche qu’un autre. Il ne voit pas non plus les mêmes publicités, ni les mêmes articles sur un portail d’informations, ne dispose pas des mêmes offres commerciales que son voisin. Ce qui pourrait poser de graves problèmes d’accès à l’information « , écrivaient, en septembre 2014, les magistrats du Palais-Royal. En lui proposant uniquement des articles, des vidéos ou des sites censés refléter ses goûts, les algorithmes pourraient bien » enfermer » l’internaute dans des entonnoirs (…/…) En conclusion de son rapport, le Conseil d’État en appelait à » la création d’un droit des algorithmes » (…/…) Pour nous maintenir au fond de la caverne, nous est vendu la grande illusion : celle de ne plus être jamais seuls, parce que le réseau va tous nous connecter. Sauf que c’est l’exact inverse qui s’est produit. » L’hyper connexion donne le sentiment d’être tous reliés aux dépens des frontières, des cultures, des langues…, alors que nous sommes enfermés, chacun, dans un univers virtuel, coupé du réel » (p. 40/41)
Il ressort de cet isolement des » psychopathologies » croissantes qui vont de la paranoïa à la névrose obsessionnelle. On le sait, la névrose obsessionnelle est un mécanisme de défense contre la dépression qui menace de plus en plus de jeunes, sans parler de l’inhibition croissante, de la perte d’empathie déjà mentionnée qui, en rendant l’individu incapable de mesurer la souffrance causée par la violence, est susceptible de déclencher un passage à l’acte. On le constate de plus en plus souvent aux États-Unis avec ces carnages, perpétrés par les enfermer sur eux-mêmes (p. 43)
MPV – Cette dépendance aux médias n’est pas nouvelle. Patrick Le Lay, ex-PDG de TF1, l’a très bien formulé en 2004 : « Ce que nous vendons à Coca-Cola, c’est du temps de cerveau humain disponible ». C’est le principe même du fonctionnement de la publicité. La différence avec la télévision, c’est que nous avons nos smartphones à portée de main et constamment sous le nez, au point que de plus en plus de personnes sont atteintes d’athazagoraphobie et de nomophobie !
Ce n’est pas sans raison que l’élite de la Silicon Valley contrôle de manière stricte l’utilisation de la technologie par leurs enfants et, en outre, la lecture de livres imprimés est encouragée (source : Pourquoi Steve Jobs et Cie ont gardé leurs enfants éloignés des iPads -Express Business 16 sept. 2014)
Je crains que sur ce terrain, ce soit une fois de plus les CSP+ qui prennent conscience de ce cancer, et que se développe – à l’image de la malbouffe – une nouvelle de fracture du numérique entre les conscients et les nomophobes. A chacun de rester maître de sa vie numérique.
Le Pacte
À la fin des années 1990, l’appareil de renseignement américain comprend qu’il doit très vite maîtriser l’infosphère par laquelle passera, à l’avenir, l’essentiel des informations de la planète. Un plan d’action baptisé » Information Dominance » est aussitôt lancé pour multiplier les passerelles avec les entreprises du numérique. La CIA créer ainsi un fonds d’investissement, In-Q-Tel, chargé de faire émerger de nouveaux outils comme des moteurs de recherche, des logiciels de navigation anonymes. Il s’agit aussi de prendre le contrôle de la technologie des cartes à puce, essentielle pour les paiements bancaires ou la téléphonie mobile. Quand les américains débarquent chez Gemplus, ils s’empressent de nommer à la tête de la société un ancien administrateur d’In-Q-Tel. C’est à cette époque qu’est scellé un PACTE entre les services de renseignements et ce que l’on appelle alors les nouvelles technologies de l’information et de la communication. Ces NTIC qui donneront naissance au big data (p. 46)
On pourrait détailler longuement la façon dont les écoutes sont organisées par la NSA. Il suffit de comprendre que toutes les communications passent aujourd’hui par Internet, et que la NSA se branche sur les fibres optiques qui portent l’information. Quelle que soit l’origine ou la destination de cette dernière, ces fibres transitent à un moment ou un autre par les États-Unis (p. 50)
Les maîtres du big data on scellé des liens avec le milieu du renseignement, en prétextant un cadre légal qui, s’il existe a minima aux États-Unis, est absent dans le reste du monde où la NSA ne se sent liée par aucune obligation. Jamais l’Amérique n’a montré un tel impérialisme. Jamais les autres pays ne s’y sont soumis avec aussi peu de résistance. L’Europe en particulier semble incapable de contrer cette hégémonie américaine en matière d’information, qui la relègue obligatoirement pour le futur à un rang de puissance secondaires aliénée par sa vassalité (p. 51).
Comme l’a révélé Edward Snowden, les États-Unis ont pu siphonner les données des pays étrangers, parce que ces informations étaient hébergées sur les serveurs d’entreprises privées américaines, et que la NSA maîtrisait totalement l’exploitation de ces technologies. De juteux contrats de sous-traitance lient l’industrie de la high-tech à l’appareil de renseignement (p. 52)
Dans son livre La Souveraineté numérique, le patron de Skyrock, Pierre Bélanger, qui fut l’un des premiers en France à créer une entreprise de services Internet, remet les pendules à l’heure : » On s’émerveille devant des start-ups qui seraient nées dans les garages, mais on oublie de dire que le garage se trouve en fait sur un porte-avions ! (p. 54)
Depuis le début des années 2000, c’est-à-dire il y a peu, Internet fait partie de notre existence, en procurant des avantages incontestables en termes de vitesse de connexion entre les individus et d’accès à l’information. Mais les meilleures évolutions technologiques générées par l’homme ont systématiquement un revers. S’agissant d’Internet, les effets secondaires ne sont certes pas aussi dévastateur qu’un « hiver nucléaire », mais beaucoup plus insidieux, au point d’agir sur des valeurs fondamentales comme la liberté individuelle. La fusion des services de renseignement avec les entreprises commerciales du big data augure une forme de gouvernement mondial non élu, et ce seul fait constitue une menace pour la démocratie (p. 58)
MPV – A l’heure où j’écris ce commentaire (plus de 2 ans après la sortie du livre) force est de constater que L’Europe a mis un certain temps à réaliser l’importance des ces enjeux de cyberespionnage. Et certains pays, au premier rang desquels est la France, en ont pris conscience ; et elle (la France) est en train de déployer, en plus des armées de Terre, de l’Air et de la Marine : sa cyberdéfense !
Mais n’oublions pas que si les États-Unis sont présentement les leaders de notre « Cyber-planète » bleue, d’autres nations sont en embuscade dans cette partie de poker : Chine, Inde, Israël et Russie.
* * * Chapitres du présent article à venir * * *
Orwell, si tu savais
De nos jours la NSA dispose de plus d’informations sur les citoyens allemands que la Stasi du temps de l’ex-RDA. L’agence de renseignement américaine a accès à chaque geste, chaque échange électronique, chaque moment de leur vie quotidienne. Nous sommes conscients aujourd’hui d’avoir un espion dans la poche avec notre téléphone portable. L’équivalent d’un agent de la Stasi qui note scrupuleusement nos déplacements, répertorie tous ceux avec qui nous sommes en contact, détecte nos amis, se penche au-dessus de notre épaule quand nous remplissons notre agenda, rédigeons un texto, recevons un mail, feuilletons notre album photo ou vidéo… Il est le greffier de notre vie , celui à qui on ne peut rien cacher. Son employeur s’appelle Apple ou Google, qui contrôlent à eux seuls 90 % des systèmes d’exploitation de tous les smartphones de la planète. (pages 59/60)
L’effroyable buvard (gmail) bois, absorbe toutes les traces que nous laissons dans le monde numérique. Il le fait avec d’autant plus de facilité que nous avons implicitement donné notre accord, en cochant machinalement la case : « Acceptez-vous les conditions générales d’utilisation ? » Qui s’appuie consent (…/…) Les utilisateurs de Facebook – 1,4 milliards de terriens – ont implicitement accepté de céder à la firme de Mark Zuckerberg la liste de leurs amis, leur situation amoureuse, leur date d’anniversaire, leurs photos personnelles ou leurs centres d’intérêt. Ce faisant, ils se dépouillent d’une part de leur intimité. Des données cédées, en échange d’un service gratuit, avec lesquelles le numéro deux mondial de la pub en ligne fait son miel. (page 61)
L’information est infinie, et c’est ainsi que la conçoivent les big data. L’objectif ultime est de collecter toujours plus d’informations, même les plus insignifiantes, sur un individu, dans l’idée qu’il y aura toujours un algorithme pour en extraire un renseignement utile, soit monétisable, soit politiquement ou socialement intéressant. Nous sommes bel et bien entrés dans l’ère de la surveillance totale. « La vie privée est devenu une anomalie » a donc déclaré Vinton Cerf, l’un des pères de l’Internet, qui travaille aujourd’hui chez Google. (page 63)
« La transparence totale s’apparente à une nouvelle forme d’Inquisition. Car que veut dire être transparent ? Que l’on voit au travers de vous et donc que l’on ne nous voit plus ? On nous fait confondre honnêteté et transparence. Il faut se poser la question : est-ce que le seul moyen que j’ai d’être honnête, c’est d’être mis sous surveillance 24 heures sur 24 ? Si la réponse est oui, cela signifie que l’on a inventé l’honnêteté totalitaire ». (page 64)
Jamais l’homme n’avait été aussi nu, aussi traçable, aussi transparent. Bientôt, plus aucun d’entre nous ne pourra avoir vécu sans que des millions d’informations jusqu’aux plus intimes aient été stockées sur lui, pour ne plus jamais disparaître. Même les dictatures les plus développées sous les régimes communistes ou fascistes ne sont pas parvenues à ce degré d’information sur chacun de leurs ressortissants. Comme l’a prophétisé l’un des boss de Google, Éric Schmidt : « Quand on considère l’avenir, avec ses promesses et ses défis, on voit s’annoncer le meilleur des mondes. (page 66)
« Il sera de plus en plus difficile pour nous de garantir la vie privée », assène ainsi Éric Schmidt. La raison est que, dans un monde de menaces asymétriques, le vrai anonymat est trop dangereux ». Et d’insister : « Ce n’est pas possible de voir tel ou tel terroriste faire telles ou telles terribles choses sous le couvert d’un anonymat absolu ». (page 67)
Paradoxalement, comme on l’a évoqué plus haut, ce monde prétendument plus sûr, parce que baignant dans une surveillance liquide, qui s’infiltre en douce dans les moindres interstices, l’est en fait de moins en moins. (page 68)
Guy Debord l’annonçait déjà dans La Société du Spectacle : « Plus on parle de transparence, moins on sait qui dirige quoi, qui manipule qui, et dans quel but ». (page 72)
La dictature décrite par Orwell dans 1984 est un modèle de domination dépassé sur le plan technologique. (page 73)
MPV – « La réalité a rattrapé la fiction », pour reprendre la formule consacrée. Mais nous allons être de plus en plus nombreux à prendre conscience de cette surveillance inhumaine. Et nous allons mettre au point des usages pour nous affranchir – même si ce n’est que partiellement – de ce Big brother is watching you !
Le réveil des objets
Grâce a la prolifération des capteurs ou des puces sans contact, similaire à celles des cartes bancaires ou des passes de transport, notre environnement épie tous nos faits et gestes. Il les collecte puis les transmettre à la matrice (page 75).
La promesse d’un monde enchanté ou les objets nous obéissent au doigt et à l’œil et devinent nos envies, ou l’ampoule du salon va d’elle-même diffuser une lumière bleue, la couleur que l’on préfère, avec le niveau de luminosité qui sied à notre humeur, où la chaise qui nous aura reconnus va s’ajuster à la hauteur optimale et incliner son dossier quand ses capteur de stress sentiront que nous avons besoin de nous étirer, et où, un peu plus tard, la cafetière avertie par la liseuse que notre rythme de lecture c’est ralenti, signe que nous luttons contre le sommeil, se mettra en marche pour nous servir un espresso, ce merveilleux avenir tel que le racontent les médias hypnotisés par le discours des rois de la Tech, en fait, c’est la promesse de nous faciliter la vie pour mieux nous monétiser. L’Internet des objets poursuit un seul but : satisfaire l’avidité de la Matrice pour les métadonnées. Tel un Moloch, son appétit est insatiable. C’est la logique du « toujours plus », cette goinfrerie inhérente aux big data. Une accumulation de données qui va alimenter sans fin la richesse d’une minorité et l’omniscience de l’appareil de surveillance. Nous croyons être des coqs en pâte, alors que nous sommes comme des moucherons pris dans une toile d’araignée, dont chaque mouvement est détecté, localisé, analysé. De nos habitudes, les firmes du numérique vont extraire un minerai à haute valeur ajoutée vendu aux annonceurs. La promesse de nous faciliter la vie vise en fait à nous réduire en consommateurs compulsifs (pages 76-77)
« Objets inanimés, avez-vous donc une âme ? » s’interroger Lamartine. Oui, une âme de surveillant. Le réveil des objets participe à la grande acquisition. Grâce à eux, les enfants seront en permanence sous le regard des parents. La marque de vêtements Gémo commercialise déjà pour les petits des manteaux avec traceur GPS intégré. La même chose existe pour les cartables. (…/…) après les balances électroniques connectées, Microsoft a inventé le terme de wearables. Des capteurs connectés que l’on porte sur soi, pour prendre des mesures en permanence. Compter le nombre de pas, les calories avalées, enregistrer le rythme cardiaque, la tension artérielle ou évaluer la qualité du sommeil. Les géants de la Tech s’engouffrent ainsi dans l’e-santé, un marché qui devrait peser 49 milliards de dollars d’ici à 2020. Récemment, Withings, un fabricant de bracelets intelligents, à sponsorisé une étude selon laquelle l’augmentation du nombre de pas moyen dans la journée entraînait une baisse significative de la tension artérielle. Une corrélation établie par les algorithmes. Cette quantification personnalisée du risque fait le bonheur des assureurs. (…/…) Depuis décembre 2014, la compagnie d’assurance américaine Oscar offre à tous ses clients un bracelet connecté. Les algorithmes développés par l’entreprise déterminent pour chacun, en fonction de son profil, le nombre minimal de pas à effectuer quotidiennement. Chaque fois que l’objectif chiffré est atteint, l’assurée gagne un dollar. Lorsque son compte affiche 20 $, il lui est proposé d’aller les dépenser sur le site d’Amazon, partenaire d’Oscar (pages 80-81)
Que dire de ce bracelet baptisé « Pavlok » (sic) proposé par une start-up américaine ? Connecté à votre smartphone, il vous envoie une décharge électrique plus ou moins forte si vous n’atteignez pas le but que vous vous êtes fixé, comme arrêter de fumer, de se ronger les ongles ou de se coucher tard. (page 83)
On le voit, le souci de soi prôné par les big data a peu à voir avec le souci de soi tel que l’entendait les Grecs anciens. (…/…) L’avènement des « objets intelligents » va imposer à l’échelle de la planète « la normalisation disciplinaire » que redoutait le philosophe Michel Foucault. Laquelle consiste à « rendre les gens et les actes conforme au modèle » (…/…) L’exact inverse de ce que scandent les champions de la Silicon Valley : grâce à vous, l’individu est de plus en plus libre.
Après avoir changé les objets qui nous entourent en entités communicantes, les big data pourraient demain faire de l’homme lui-même un objet. (page 84).
MPV – La boucle est bouclée entre les personnes connectées via leurs capteurs et ceux (la Matrice) qui en tirent profit à tous les étages : les prestataires de la Tech et les vendeurs de produits ou services qui ont avantage à nous « contrôler »
12 mai 2021
[…] L’homme nu – La dictature invisible du numérique (avril 2016) […]